Et si mon histoire commençait ainsi...
"Dans le tiède début de nuit, la ville s’immobilisait dans un ronronnement résigné. Il perlait, dans la paume boursouflée des nuages, des murmures humides que colorait une myriade de petites gouttes de lumières fatiguées. Le ciel abandonnait ainsi, dans l’obscurité, les ultimes gestes lassés du jour. Un jour qui s’effaçait sans plaisir. Un jour que la pluie aurait pu détremper sans remord. Un jour qui s’était épuisé à ne servir à rien.
La ville basse étendait son port baigné par la lueur d’une armée falote de halos jaunâtres, silhouettes des rares réverbères sans fantaisie que l’électricité pouvait encore atteindre. Dans la pénombre sournoise du haut de l’escalier Montmorency, des yeux habitués pouvaient deviner le chaos encore sauvage du Havre détruit, en désordre, et plus vers l’embouchure de l’estuaire, l’énorme charivari de la reconstruction du centre-ville.
Le silence était épais. Un homme à l’élégance malmenée, brouillonne, se déplaçait d’un pas hésitant. L’escalier dessinait son immense squelette s’enfonçant dans la vase noire du soir. Le col de la chemise défait pour happer le peu d’air qu’il parvenait à respirer, l’homme s’appuya sur un des murs de pierres irrégulières qui le bordait. Il hésita. Il avait beaucoup bu. Trop même. S’engager sur le long tapis de marches qui se déroulait anarchiquement devant lui, il ne le sentait pas. Il le connaissait pourtant bien ce satané escalier. Mais dans son état, troublé par l’alcool, il lui apparaissait belliqueux."
Ne pas se relâcher dans le travail...